28-02-2024

Santé des femmes au travail : pourquoi est-il urgent d’agir ?

Le 8 mars a lieu la journée internationale des droits des femmes. Chaque année, l’événement offre une occasion privilégiée de faire le point, de réfléchir aux progrès réalisés et d’appeler à des changements futurs. Dans la sphère professionnelle, un rapport sénatorial de juin 2023 a révélé une situation alarmante : la dégradation de la santé physique et mentale des femmes est encore invisibilisée. Peur de la discrimination, méconnaissance des réalités professionnelles de la gent féminine, manque d’études statistiques, absence de politique de santé publique : les raisons de fermer les yeux sur les spécificités de genre en matière de santé au travail sont nombreuses. Pourtant, les disparités sont flagrantes : troubles musculo-squelettiques, risques psychosociaux ou cancers touchent majoritairement les femmes. Comment mettre en œuvre une politique de santé au travail pensée pour les hommes comme pour les femmes ? Quelles actions simples adopter pour combattre les maux féminins ? Focus sur la santé des femmes au travail !

Santé des femmes au travail : où en est-on ?

La réflexion sur la santé des femmes au travail en est encore à ses balbutiements. Si certains pays, comme le Royaume-Uni, ont déjà développé des politiques de santé au travail spécifiquement féminines, la France accuse un retard conséquent. Outre la sphère gynécologique, les particularités liées au genre sont généralement invisibilisées. En cause ? Un manque de données statistiques, mais aussi une volonté, délibérée ou non, de les exploiter. Côté employeur également, le souci de « neutralité » semble empêcher la reconnaissance des spécificités féminines. Résultat : les politiques de santé publique et les mesures de prévention en santé du travail se basent sur un modèle « d’homme moyen ». L’ergonomie des postes de travail ou les équipements divers et variés sont conçus pour des travailleurs masculins. Or, les travailleurs sont aujourd’hui pour moitié des travailleuses. Les inégalités de genre sont donc réelles. De plus, les secteurs d’emploi majoritairement féminins, comme le nettoyage ou le care, sont moins étudiés. Difficile, dès lors, de comprendre et de prendre en compte les risques professionnels spécifiques aux femmes.

Cette situation est aggravée par une sous-estimation et une sous-déclaration des maladies professionnelles féminines. C’est notamment le cas pour les troubles musculo-squelettiques dont 75 % ne seraient pas déclarés, mais aussi pour les cancers d’origine professionnelle et la souffrance psychique liée au travail. Pourtant, le Baromètre Santé au travail de Malakoff Humanis souligne que 44 % des femmes salariées se considèrent en moins bonne santé psychologique par rapport à 32 % des hommes. Pire : les données indiquent une détérioration de la santé perçue chez les femmes : elles étaient 70 % en 2011 à se sentir en bonne santé contre 65 % en 2022. Du côté des hommes, en revanche, le taux est resté relativement stable autour de 70 %. Les femmes rapportent également être en moins bonne santé physique que les hommes, malgré un meilleur suivi médical.

Aux origines de cette détérioration de la santé chez les femmes ? Des facteurs professionnels et personnels. Un tiers des salariées attribuent leur mauvaise santé psychique à leur travail (intensité, temps de travail, dégradation des relations sociales). Les préoccupations financières contribuent également à leur stress.

Les risques professionnels féminins encore dans l’angle mort

Les clichés sur la santé des femmes au travail ont la vie dure

Plus fragiles, occupant des métiers moins pénibles que les hommes, plus souvent absentes… Les stéréotypes sociaux et clichés sur le rapport des femmes au travail sont encore tenaces. Et pourtant ! Contrairement à la croyance répandue que les femmes occuperaient des postes moins pénibles et seraient donc moins sujettes aux accidents et maladies professionnelles, le rapport du Sénat révèle que 60 % des personnes touchées par les TMS (troubles musculo-squelettiques) sont des femmes. Si la pénibilité physique du travail dit « masculin » (BTP, etc.) est souvent soulignée, celle des emplois occupés majoritairement par des femmes est parfois oubliée. D’après une étude menée par l’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) et publiée en juin 2022, les accidents du travail ont augmenté de 41,6 % entre 2001 et 2019 pour les femmes !

La différence est flagrante si l’on s’intéresse de plus près au type d’accident déclaré. Les accidents du travail mortels sont à 90 % déclarés par des hommes. En revanche, les femmes bénéficient généralement d’arrêts de travail plus longs. La raison ? Les postes occupés par les femmes sont associés à des risques plus discrets, voire invisibles, comme le port de charges lourdes (+ de 25 kg), la répétition, la charge émotionnelle importante, le travail debout, etc.

Une analyse menée par la Dares en 2023 a d’ailleurs examiné les conditions de travail à travers 88 professions. Certes, l’étude révèle une plus grande exposition des hommes aux métiers physiquement exigeants, mais elle met également en évidence une vulnérabilité accrue des femmes face aux risques psychosociaux (RPS).

La pénibilité du travail des femmes accentuée dans certains secteurs

Ce n’est pas un secret : les femmes sont surreprésentées dans certains secteurs professionnels. Le domaine du care est par exemple fortement féminisé avec près de 80 % de femmes. Élisabeth Noël-Hureaux, dans son article intitulé Le care : un concept professionnel aux limites humaines ?, le définit en partie de la façon suivante : « une idée d’activité, voire de travail orientée vers les besoins humains nécessaires à la vie d’autrui (s’occuper de, prendre soin, aide et accompagnement d’autrui) ». On y regroupe les professionnels médicaux, paramédicaux, les aides à domicile, et autres métiers du soin. Ces travailleuses du care, souvent en première ligne, sont plus susceptibles de déclarer une santé globale moins bonne que la population générale. La pénibilité physique est marquée, les horaires souvent irréguliers, et le stress émotionnel élevé. Il faut savoir que le risque de développer un cancer du sein augmente de 26 % lorsque l’on travaille de nuit.

Le secteur du nettoyage, lui aussi majoritairement féminin, expose ses travailleuses à des risques physiques et chimiques considérables. D’un côté, les femmes sont soumises à des postures pénibles ; de l’autre, elles sont quotidiennement exposées à des produits potentiellement nocifs. Et c’est sans compter la précarité de l’emploi et les horaires atypiques liés à la fonction. Malgré une certaine prise de conscience des TMS par les employeurs (particuliers comme entreprises), le caractère « invisible » de ces métiers limite souvent l’accès aux soins et à la prévention. Enfin, la majorité des professionnelles du nettoyage ont plus de 50 ans.

Moins évident : le secteur de la grande distribution, où les femmes occupent 60 % des postes. Caissières et employées de libre-service sont particulièrement vulnérables aux TMS, du fait de mouvements répétitifs ou de longues périodes en station debout. Les pressions psychosociales restent importantes, notamment à cause des interactions parfois difficiles avec la clientèle.

Enfin, le rapport du Sénat met en avant les métiers du mannequinat et de l’accueil, souvent perçus comme « féminins par essence ». Ils illustrent quant à eux une autre forme de pénibilité « invisible », liée à des exigences physiques et esthétiques strictes. Ces contraintes bien spécifiques peuvent mener à des troubles alimentaires graves voire à une détresse psychologique.

Adopter le prisme du genre : un impératif pour les services RH ?

Dans leur rapport, les sénatrices (Annick Billon, Laurence Cohen, Annick Jacquemet, Marie-Pierre Richer et Laurence Rossignol) proposent donc de penser la santé au travail au féminin. Pour cela, elles préconisent de « chausser les lunettes du genre » afin d’agir de façon cohérente. Nombreux sont les employeurs à rester frileux lorsqu’il s’agit de différencier, neutralité oblige. Pourtant, le message est clair : « différencier n’est pas discriminer ». Intégrer une perspective genrée en matière de santé au travail vise avant tout à reconnaître et répondre aux besoins spécifiques des femmes, souvent occultés par des normes. Souvenez-vous : les pratiques professionnelles et la prévention sont historiquement centrées sur le profil de « l’homme moyen ».

La santé sexuelle et reproductive des femmes : encore taboue

Être une femme dans le monde du travail, c’est rencontrer des problématiques de santé physique et mentale bien spécifiques. Considérée comme intime, la question de la santé sexuelle se veut pourtant universelle. Quels que soient le secteur d’activité et le poste occupé, les femmes voient parfois leurs problématiques sous-estimées ou invisibilisées. Heureusement, les lignes bougent. Le sujet a d’ailleurs été fortement médiatisé avec le « congé menstruel » adopté par l’Espagne en 2023. L’idée ? Accorder des jours de congé maladie spécifiques aux femmes souffrant de règles douloureuses. Au niveau parlementaire comme parmi les sénatrices, la mesure ne fait pas l’unanimité. Toutefois, certaines entreprises, PME ou grands groupes, ont déjà adopté ce dispositif.

Par exemple, Carrefour propose désormais des jours de congés spécifiques pour les salariées atteintes d’endométriose. Cette pathologie invalidante touche près de 10 % des femmes en âge de procréer et affecte de manière significative leur quotidien au travail. Au-delà de la mise en place de jours de congés supplémentaires « de droit » ou sur présentation d’un certificat médical, cette initiative a le mérite d’aborder ouvertement et de prendre en charge des affections spécifiquement féminines au travail. Flexibilité du temps de travail, mise en place du télétravail lorsque c’est possible et compatible avec l’état de santé de la salariée, sensibilisation des managers… Les idées sont nombreuses pour prendre en compte la réalité des femmes souffrant d’endométriose au sein de l’entreprise.

La question se pose également pour la grossesse. Cette période est à l’origine de stigmatisation. La délégation aux droits des femmes note deux fois plus de discrimination au travail envers les femmes enceintes et les mères d’enfant en bas âge. D’ailleurs, la reprise du travail post-congé maternité est une période critique souvent marquée par des ajustements difficiles. Elle nécessite donc une attention particulière et, dans l’idéal, une forme d’accompagnement à la parentalité en entreprise.

La question des violences sexuelles et sexistes au travail

Dans une enquête de 2015, le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) a révélé que 80 % des femmes salariées avaient le sentiment d’être régulièrement confrontées à des attitudes ou décisions sexistes au travail. Ces agissements marquent profondément les victimes par des conséquences dévastatrices sur leur santé psychique, leur travail et leur vie personnelle. Trop souvent considérées comme de simples difficultés interpersonnelles, ces violences doivent être appréhendées comme de véritables risques psychosociaux.

La prise en compte des spécificités féminines dans la gestion des ressources humaines et les politiques de santé au travail n’est pas seulement une question de conformité légale. C’est aussi une stratégie fondamentale pour améliorer la qualité de vie au travail, la productivité et l’engagement des salariées.

Comment améliorer la santé des femmes au travail ?

Face à une problématique de société, comment l’entreprise et les services RH peuvent-ils agir ? La délégation aux droits des femmes propose une série de recommandations, chacune adressée à un ou plusieurs acteurs. Si certaines actions relèvent du législateur, d’autres mesures concrètes peuvent être prises par l’employeur. Par exemple, il est possible de :

  • proposer des aménagements de travail pour les femmes affectées par des pathologies menstruelles ;
  • rédiger un Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) genré et y intégrer les risques auxquels les femmes sont plus particulièrement exposées, (violences sexuelles et sexistes au travail, risques psychosociaux ou TMS) ;
  • former les managers et RH à une « approche genrée de la santé au travail » ;
  • adapter la prévention aux caractéristiques féminines ;
  • faciliter l’information des femmes enceintes sur l’ensemble de leurs droits pendant la grossesse.

Pour agir en faveur de la santé des femmes au travail, les idées sont nombreuses. Les entreprises peuvent mettre en place des services de soutien psychologique, accompagner la parentalité en entreprise, offrir davantage de flexibilité dans les modes de travail, lutter contre les discriminations et les stéréotypes sexistes.

Vous souhaitez améliorer la santé et le bien-être de vos salariés ? Répondez à vos obligations légales et plus encore avec la plateforme tout-en-un Wellbeing Journey.

Auteur: L'équipe Wellbeing Journey
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